Entre caricatures et simplifications : la désinformation des médias occidentaux
Ces derniers jours, nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur le présentateur de CNN et son manque d’objectivité dans sa manière d’interroger Donald Trump pendant le débat télévisé contre Hillary Clinton. Pourtant, en réalité, peu d’Américains ont trouvé choquant que CNN soit l’impartial médiateur nécessaire. Compte tenu de ma propre expérience avec cette chaîne, qui m’a fait comprendre qu’Atlanta ne permettait jamais à la vérité de se mettre en travers de la route d’une bonne histoire, j’ai trouvé cela ridicule.
Encore moins de tollé a été suscité, quand, juste avant les déclarations du camp Trump quant au jeu du présentateur Cooper, des reportages ont été publiés sur le fait que le Pentagone avait payé à une société britannique en relations publiques plus de 500 000 euros, pour qu’elle produise des informations totalement fabriquées sur Irak.
C’est comme si le grand public américain, qui est facilement dorloté par les clameurs des géants médiatiques comme CNN qui examinent plus les faiblesses personnelles que les programmes politiques des candidats, s’était habitué aux fausses nouvelles. Même les récents reportages sur le Pentagone lançant «de fausses bombes» dans le désert du Névada pourraient servir à justifier une histoire selon laquelle les ogives vides deviennent, avec le temps, d’authentique bombes dans l’esprit des journalistes. Après tout, le Pentagone a beaucoup d’argent à dépenser en scénarisation, il est donc peu étonnant qu’il franchisse la ligne et invente tout simplement des informations. Néanmoins, ils n’ont pas pu inventer cette histoire sur le général Ron Lewis, renvoyé en 2015 pour gaspillage des ressources gouvernementales en strip-teaseuses et alcool. Ça, c’était la vie, la vraie.
Dans le cas de CNN, il s’agit de journalisme négligent et des relations malsaines avec les démocrates aux Etats-UnisLes vices des fonctionnaires du Pentagone mis à part, il y beaucoup d’informations fausses qui circulent, et la plupart du temps, elles sont plus anodines qu’explosives.
Quand vous avez en tête que la vaste majorité de ce que vous lisez sur les réseaux sociaux, qui ont remplacé la bande circulante que CNN et d’autres avaient auparavant, est fallacieux dans le meilleur des cas et complètement fausse dans le pire, il semble difficile de blâmer les personnes en passe de suivre la même voie, n’est-ce pas ? Dans le cas de CNN, il s’agit plutôt de journalisme négligent et des relations malsaines avec les démocrates aux Etats-Unis, sans mentionner le département d’Etat, plutôt que d’un réel besoin d’inventer des nouvelles. Mais il y a eu des moments, dans mon expérience personnelle, où je ne les ai vus faire exactement ça.
En 2011, j’étais indépendant, sous contrat au Maroc, et on m’a demandé d’aider la productrice du département d’Etat dans ses ambitions pour que ses collègues journalistes la prennent plus au sérieux en contribuant à faire son reportage sur le Printemps arabe au Maroc.
Dans le cas de CNN, l’idée de broder autour des nouvelles est motivée principalement par l’argentC’était une tâche difficile, étant donné qu’elle était arrivée avec tout un tas de clichés tout à fait absurdes, par exemple que «le Roi s’accrochait au pouvoir» et que le Maroc s’apprêtait à succomber à une vague d’attaques d’Al Qaïda. Ce devint encore plus difficile, lorsque, à l’occasion d’une manifestation tout à fait paisible un dimanche, on m’a demandé de «rendre sexy le reportage» sur cet événement. Les mots me manquaient. Et alors que je regardais la foule enthousiaste et les officiers de police somnolents, elle a braillé avec son accent new-yorkais : «Martin, tu dois comprendre qu’ils font tous ça. Anderson Cooper, Parisa Khosravi embellissent leurs histoires quand ils font des reportages sur ce qu’il se passe à l’étranger». Puis, elle s’est mise à rire, tout simplement.
Je n’avais encore jamais entendu parler d’aucun de ces journalistes jusque là, mais j’étais stupéfié par cette déclaration. C’était mon dernier reportage pour CNN, avant d’être congédié sans délai, une heure après le retour de ma «productrice» à Washington, à cause de mon manque d’empressement à l’aider.
Son reportage, publié quelques jours plus tard, contenait nombre de déclarations «sexy». [...] Est-ce qu’une ligne a été franchie par les grands médias dont les spectateurs se sont résignés à être divertis et non informés, par la discipline établie du journalisme ? Combien de reportages internationaux de CNN sont faits de la sorte ?
Dans le cas de CNN, l’idée de broder ainsi autour des nouvelles est motivée principalement par l’argent. Au Liban, où j’habite, les fonctionnaires d’Etat sont très fiers de me raconter avoir payé CNN pour un certain nombre de films publicitaires mettant en valeur les jolis aspects du pays, tout en cachant les moins plaisants. Mais il n’y a aucune mention de qui paye pour l’image présentée au spectateur, dans les documentaires des journalistes de CNN. Et il semble qu’il y ait un nombre impressionnant de films vantant le Liban comme destination touristique – un pays que d’aucuns associent aux bombes dissimulées dans des voitures, à une pile de déchets de 60 mètres de haut, à des enlèvements, un pays qui est dirigé par une milice chiite soutenue par Iran.
A Bruxelles, les journalistes qui ne respectent pas les règles non écrites sont laissés de côté et éventuellement chassés du pool d’informationsEt, est-ce que les Etats peuvent voir des reportages d’investigation révélant leurs épouvantables violations des droits de l’homme, être retirés d’antenne ? Est-ce que, ça aussi, c’est une bonne affaire ? Oui, selon un reporter de CNN. Un documentaire sur le Bahrain n’a jamais été diffusé sur CNN International sans aucune réelle explication à Amber Lyon de la part du chef d’antenne Tony Maddox. Lyon a continué avec une série d’accusations incendiaires contre CNN, dont l’une contenait des informations quant au fait que l’administration d’Obama avait payé la chaîne pour qu’on couvre des événements particuliers et qu’une série de reportages de CNN avaient été financés par des gouvernements étrangers.
Il est peu étonnant qu’Anderson Cooper ai été si dur envers Trump au cours du récent «débat» télévisé.
Mais ni les nouvelles «brodées» par CNN, ni ses reportages financés de manière illégale, ni même ses informations retirées d’antenne – sans même mentionner les faux bulletins d’actualités du Pentagone en Irak – ne peuvent être considérés comme le domaine réservé des Etats-Unis.
Les fausses informations et le Brexit
En fait, d’aucuns peuvent arguer que de fausses informations circulent depuis longtemps en Europe. Ayant travaillé à Bruxelles pendant 11 ans, j’ai été stupéfié de voir comment l’exceptionnel accord que la Commission européenne a avec les journalistes avait créé un système incroyablement efficace pour diffuser des histoires fabriquées dans des centaines de journaux.
A Bruxelles, les journalistes qui ne respectent pas les règles non écrites selon lesquelles il faut produire sans cesse des histoires honteusement inexactes sur les événements ayant lieu dans l’UE et ayant une forte tendance à favoriser une conception du monde européenne, sont laissés de côté et éventuellement chassés du pool d’informations. Ceux qui ne rédigent pas la propagande européenne de manière propre – du point de vue des experts européens en relations publiques – ne reçoivent plus de papiers confidentiels quelques jours avant qu’ils n’entrent dans le domaine public. Les journalistes ont à gagner des points, qui dépendent d’une promotion positive de l’UE, avant qu’on ne les considère comme candidats pour des interviews avec des personnalités éminentes, comme les hauts fonctionnaires européens par exemple. Même ces entretiens seront accordés en fonction de ce que les attachés de presse appellent «la copie d’approbation». Autrement dit, la Commission européenne a le dernier mot sur l’article avant publication, et a le droit d’apporter des changements avant de l’envoyer aux éditeurs.
Les fausses nouvelles atteignent un nouveau sommet quand il s’agit des journalistes radio et télé dans la capitale belgeUn tel environnement fait comprendre au nouveau journaliste qui arrive à Bruxelles qu’il doit abandonner toute sa formation et toutes sa morale journalistique juste pour survivre et continuer à recevoir des missions. Et excusez le de s’être tourné vers les nombreux médias qui existent à Bruxelles afin de couvrir les informations provenant des institutions européennes.
Je ferai remarquer que nombre de ces faux diffuseurs d’information ont été mis en place par d’anciens fonctionnaires européens financés par la Commission ou le Parlement Européen. Excusez le, aussi, de s’être tourné vers la communauté des ONG. L’Union européenne finance environ 150 des premiers noms d’organismes caritatifs et des ONG qui vont tous nourrir le journaliste naïf avec des «informations» fallacieuses provenant de leurs prestigieux bureaux de Bruxelles, payés par la Commission. Une de ces organisations, l’association pan-européenne des consommateurs, reconnaît même publiquement être financée par l’UE, alors que la plupart des organismes ne l’avoueront pas.
Alors, quelques mois après leur arrivée, même les journalistes britanniques font partie de l’équipe de presse européenne. Ils sont dignes de confiance et peuvent être traités de la même façon. Une éminente publication britannique avait une telle relation psychophonétique avec la Commission européenne que les journalistes américains appellaient souvent le département de presse «DG», suivi du nom du journal, pour railler le fait que les journalistes travaillant pour le bureau de Bruxelles avaient souvent de meilleures informations sur un sujet donné que les fonctionnaires de la Commission européenne eux-mêmes, car ils avaient accès à des documents de premier niveau – tel était le degré d’absurdité. En 2002, un de ses correspondants basés à Bruxelles a même accepté un emploi de porte-parole de la Commission – ce qui à peine fait sourciller ses confrères.
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Quand j’ai constaté, comment mes collègues de nombre des chaînes notoires, même de la BBC, sont tombés dans le piège de l’exagération de l’importance des événements, j’ai commencé à comprendre que peu de nouvelles de Bruxelles circulant en Europe étaient authentiques
Ce bulletin d’actualités vous a été apporté par…
Mais les fausses nouvelles atteignent un nouveau sommet quand il s’agit des journalistes radio et télé dans la capitale belge. Longtemps avant mon arrivé en 1995, les fonctionnaires européens avaient appris qu’il existe une voie très efficace pour corrompre les journalistes de télévision afin qu’ils répandent leur propagande et les en rendre dépendants, tout simplement financer leurs coûts de production. A l’époque, je travaillais pour Euronews, et je n’étais pas si mal à l’aise, puisque la chaîne était ridiculement pro-européenne quoiqu’il arrive. Mais quand j’ai constaté, comment mes collègues de nombre des chaînes notoires, même de la BBC, sont tombés dans le piège de l’exagération de l’importance des événements, des problèmes et des déclarations de l’UE, devenant presque des portes-paroles, j’ai commencé à comprendre que peu de nouvelles de Bruxelles circulant en Europe étaient authentiques.
Au fil des années, cela a mené à l’apparition d’une foule d’histoires honteusement diffusées, qui ont persuadé le crédule public que l’UE, par exemple, leur offrait des coûts de trafic internet et des tarifs aériens réduits. Ou, l’un de mes préférés : comment l’UE est intéressée par les petites entreprises et la création d’emplois. Tout cela n’a absolument aucun sens, c’est le résultat d’années de’désinformations. Vous êtes perturbés ? Moi aussi. Mais une question me taraude plus encore : pourquoi le Pentagone ne s’est-il pas adressé justement à CNN pour obtenir ses fausses informations sur l’Irak ? Atlanta l’aurait sans doute fait pour la moitié des honoraires de l’agence britannique en relations publiques.
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