«Un scandale démocratique», le sauvetage de la Grèce ? Si l’accusation était venue d’un militant altermondialiste, elle n’aurait guère surpris. Mais l’auteur de cette déclaration audacieuse n’est autre que Pierre Moscovici, qui s’exprimait ainsi lors d’une interview accordée samedi au quotidien italien Corriere della Sierra. Et dans laquelle il enfonce le clou : «Parce qu’en décidant de cette manière du sort d’un pays, en imposant des décisions détaillées sur les retraites… On touche aux choix fondamentaux d’un pays», dit l’actuel commissaire européen aux Affaires économiques. Une
révélation de taille venant d’un responsable qui, en juin 2012, à la veille d’élections cruciales en Grèce, mettait en garde les électeurs hellènes sur le risque de voter pour Syriza, le parti de gauche anti-austérité dirigé par Aléxis Tsípras. Lequel sera finalement élu trois ans plus tard, en 2015. Avant de devoir renoncer à toutes ses promesses électorales sous la pression musclée des créanciers du pays. Depuis, les réformes sont le plus souvent décidées à Bruxelles avant d’être entérinées par la Vouli, le Parlement grec.
Reste qu’au moment où Emmanuel Macron arrive à Athènes avec l’ambition d’y lancer la refonte démocratique de l’Europe (lire ci-contre), le commentaire de Moscovici confirme un glissement subtil du storytelling de la crise grecque.
Qui l’a oublié ? Dans un passé pas si lointain, les Grecs assimilés à d’incorrigibles cigales, étaient stigmatisés pour leur gabegie. «Un pays laxiste», jugeait en mars 2010 Moscovici lui-même sur son blog, en évoquant ce canard boiteux, bientôt membre des «cochons» de l’Europe : les «Pigs», comme on désignait alors Portugal, Irlande, Grèce et Espagne.
Bénéfices. Changement d’ambiance : l’acronyme Pigs semble passé de mode. Et plutôt que de qualifier les Grecs de voleurs ou de paresseux, il est désormais de bon ton de saluer leurs sacrifices. A Paris, la nouvelle analyse macronienne dénonce même pudiquement des «mesures précipitées» imposées à la Grèce sous la férule des créanciers. Ce n’est certes pas un mea culpa, mais ce n’est plus une stigmatisation.
Tsípras, de son côté, s’accroche encore à l’espoir sans cesse reporté d’un allégement de la dette grecque qui lui permettrait de justifier les sacrifices imposés à ses concitoyens, au nom d’un endettement qui n’a fait qu’augmenter. Un autre discours, aussi récurrent que culpabilisateur, est désormais moins audible : celui selon lequel «les contribuables européens se saignent pour les Grecs». Accusation qui mérite d’être nuancée, après les révélations récentes du quotidien Süddeutsche Zeitung sur les fabuleux bénéfices engrangés par Berlin grâce au «plan de sauvetage de la Grèce» : 1,34 milliard d’euros au total. Les prêts accordés par Paris auraient, eux, rapporté 729 millions d’euros, de 2010 à 2014.
«En réalité, tout ce qui est prêté à la Grèce ne fait qu’ajouter de l’endettement au pays et les seuls contribuables qui trinquent réellement sont les citoyens grecs», rappelle Eric Toussaint, un économiste belge, membre fondateur du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Peu après l’élection de Tsípras, Toussaint avait participé aux travaux de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque - aujourd’hui dissoute - qui s’était penchée sur cette question.
Dramatisation. Cet été, c’est la justice grecque qui a mis les pieds dans le plat : après quatre années d’instruction et deux procès, Andreas Georgiou a été condamné à deux ans de prison avec sursis. Cet ancien directeur de l’Office des statistiques grecques est accusé d’avoir augmenté les chiffres de la dette et du déficit de son pays pour l’année 2009. Une pratique surprenante qui confirme «la stratégie d’une dramatisation délibérée de la crise grecque pour en cacher les causes réelles, explique Eric Toussaint. La dette publique grecque était élevée mais pas insupportable. En revanche au tournant 2009-2010, ce sont les banques et les entreprises grecques qui sont trop endettées. Or elles ont bénéficié de prêts massifs de la part des banques françaises et allemandes. Après la crise de 2008, il était impossible de vendre à l’opinion que les banques avaient une fois de plus fauté en créant une bulle spéculative. On a donc transféré le problème sur la dette publique», souligne encore l’économiste. «Les Grecs sont friands de théories du complot»,notait un chroniqueur du Financial Times le 7 juillet, ajoutant : «En fait, c’est vrai, ils ont été en partie victimes d’un complot étranger. La Grèce a été sacrifiée pour sauver l’euro.» Sauf que bien sûr, à l’époque, on ne le disait pas.
Maria Malagardis